Before Your Very Eyes

Je ne sais pas si vous êtes du genre à lire ce billet sans même jeter un coup d’œil sur le vidéoclip. Mais cette quinzaine : visionnement obligatoire. Parce que le vidéoclip dit tout. Si j’écris tout de même ces lignes, c’est par scrupule.

Paroles

« Before your very eyes », c’est le traditionnel « memento mori » (souviens-toi que tu mourras) scandé avec un style « in your face » à peine atténué par l’esthétique léchée du vidéoclip. En fait, c’est plutôt un « memento senesci » : rappelle-toi que tu vas vieillir :

Look out of the window

What is passing you by.

If you really want this bad enough

You’re young and good looking

 

De l’angoisse de la mort à celle du vieillissement. Est-ce qu’on y gagne au change ? Pas vraiment, si on se rappelle Brel : « Mourir, cela n’est rien / Mourir… la belle affaire ! / Mais vieillir, oh, vieillir… »

Comme tout ce qui se chante aujourd’hui, on peut dire qu’il n’y a rien là de nouveau : je suis beau et jeune, mais je commence à sentir le temps me couler sur le visage, j’imagine que ça finira par faire des rides. L’originalité (relative) de l’offrande de Thom Yorke et ses comparses est d’abord perceptible dans le vidéoclip : tout le paysage, sauf quelques crêtes, est liquide, en changement continuel. Tempus fugit. Le fleuve du devenir d’Héraclite. Et l’homme, quant à lui ? On nous le montre de roc. De par son emprise sur le temps, par la pensée réflexive, l’homme ne serait pas fait de la même étoffe que le reste. Vraiment ? Après tout, le visage de Yorke est de la même couleur d’argile que le temps qui s’écoule et qui emporte tout sur son passage… Comme les montagnes plurimillénaires, l’homme est finalement érodé par le temps. Complètement ? Le vidéoclip reste muet là-dessus.

Dans l’ensemble, ce qui ressort du vidéoclip, c’est le vieillissement comme érosion tragique. Mais ces lignes introduisent un autre particularité de « Before your very eyes » :

Time’s fickle card game with you and I

You have to take your chances

 Pour le cinéphile averti, c’est un clin d’oeil au Septième Sceau d’Ingmar Bergman, alors que le chevalier en quête de Dieu joue, pour retarder sa fin, une partie d’échecs avec la Mort. S’il gagne, la Mort le laissera tranquille… Après l’illusion d’un début prometteur, le chevalier se lasse lui-même, saborde sa partie. Le manque de constance de l’homme. Le temps finit par éroder sa ténacité, et même son désir de vivre.

C’est un peu la même situation ici. Bien sûr, quand le chanteur lance son « You have to take your chances », on pense aussitôt qu’il nous encourage à vivre intensément, à se faire croire jusqu’au bout qu’on vaincra la mort. Mais le vers suivant oriente autrement l’interprétation : « The book of forgiveness ». Le « saisis ta chance de vivre » devient un « saisis ta chance de vivre une vie miséricordieuse, une vie digne de miséricorde ». Pourquoi ? Parce que peu importe ce que les autres t’auront fait subir, tu sais maintenant, car tu as vu (« before your very eyes »), que les autres s’éroderont à mort. Ils le savent plus ou moins, et essaient comme toi d’en tirer le meilleur parti, malgré le tragique de l’affaire.

Qu’est-ce que la foi change à cela ? Pour soi, sans doute un art de vivre qui finit par se transformer en art de vieillir. Pas automatiquement, sans doute. Pas sans trémolos dans la carcasse. Mais si on prend au sérieux la promesse d’immortalité, on peut en venir à une certaine sérénité.

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(Saint Pierre repentant, Goya)

Cependant, si on peut bien être soi-même serein devant la mort, on ne saurait forcer les autres à l’être. Et c’est là que la difficulté devient aporétique : puisque nous sommes rivés aux autres, matériellement sinon spirituellement, leur détresse, c’est un peu la nôtre.

Traditionnellement, dans le christianisme, on enseigne qu’il faut aimer son prochain comme soi-même. Parce que le Christ l’a dit et l’a fait. Parce qu’il s’est identifié au plus petit au vingt-cinquième chapitre de l’Évangile selon saint Matthieu; ou alors dans la question qu’il pose à Paul sur le chemin de Damas. C’est très bien. Mais on pourrait tout aussi bien être envahi de compassion pour autrui pour la simple et bonne raison qu’il est en plein processus d’érosion, lui aussi, et qu’il faut avouer que ce n’est pas si facile à porter que ça, qu’on ait la foi ou pas.

À lire aussi sur christophone.ca.

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