L’élection du 7 avril 2014 marque une étape de plus dans la recomposition déjà amorcée du système partisan québécois. Le politologue Vincent Lemieux a déjà écrit que du PLQ et du PQ, l’un des deux allait disparaître. Au vu des résultats du 7 avril et des élections tenues depuis 1998, il semble bien que ce ne sera pas le PLQ.
Bipartisme obligé
Le système partisan québécois, à cause du mode de scrutin majoritaire à un tour, est condamné au bipartisme. Le bipartisme peut, au mieux, s’accommoder de la présence d’un tiers parti qui ne menace pas la prédominance de deux grands partis : ce fut le cas du NPD sur la scène fédérale canadienne jusqu’à l’élection du 2 mai 2011. On peut alors parler de « bipartisme et demi ». Mais il ne peut y avoir de tripartisme permanent. Quand il y a tripartisme (trois grands partis qui peuvent tous aspirer à former le gouvernement), il s’agit le plus souvent d’une situation temporaire. Tôt ou tard, l’un de ces trois grands partis doit soit disparaître (parfois en fusionnant avec un autre) et ainsi rétablir une situation de bipartisme pur, soit rétrograder au rang de tiers partis et instaurer un bipartisme et demi (cas du Parti libéral en Grande-Bretagne).
Au Québec, ce sont les partis offrant l’alternative à un Parti libéral séculaire qui se sont succédé. On le sait, l’Union nationale a remplacé le parti conservateur provincial comme opposition aux libéraux dans les années 30, puis le Parti Québécois a succédé à l’Union nationale dans les années 70. Les tendances lourdes qu’on peut déceler dans le vote du 7 avril et sa mise en perspective avec les résultats des élections des 15 dernières années m’amènent à croire que nous vivons maintenant le remplacement, amorcé en 2007, du Parti Québécois par un parti non souverainiste et économiquement plus à droite comme alternative au PLQ : ce rôle était joué par l’ADQ devenue opposition officielle en 2007, il est maintenant dévolu à la CAQ qui est en quelque sorte son héritière depuis la fusion des deux partis. La faiblesse de l’équipe adéquiste avait permis au PQ de revenir en force comme deuxième parti en 2008 et ainsi de retarder la recomposition entamée du système partisan québécois. Mais cette recomposition ne pourra pas être retardée indéfiniment. Les plaques tectoniques bougent, des mutations sociologiques profondes jouent en défaveur du Parti Québécois.
Social-démocratie et souveraineté
Deux raisons à mon avis expliquent le recul du Parti Québécois :
– le recul de la social-démocratie : dans tous les pays occidentaux, et le Québec n’y échappe pas, on observe le rétrécissement de la classe ouvrière, qui servait de base aux partis sociaux-démocrates. Ceux-ci cherchent alors à se transformer en parti des classes moyennes – ce qui est perçu comme une trahison par une partie de la base – mais peinent à le faire. Ces partis souffrent alors souvent de la concurrence de nouveaux partis plus à gauche. Aussi, face à un parti de droite et un parti social-démocrate qui gouvernent en appliquant les mêmes politiques néolibérales, quand la différence entre les deux n’est plus qu’une question de nuances, les électeurs préfèrent souvent voter pour l’original, soit la droite classique.
– l’infaisabilité de la souveraineté : l’accession du Québec au statut d’État souverain est la raison d’être du PQ, mais il apparaît désormais que cet objectif serait difficilement atteignable. À aucune élection ou référendum les souverainistes n’ont dépassé les 49% des votes. Or, pour faire un pays, même si légalement et techniquement un vote de 50% +1 voix donnerait une victoire aux souverainistes, en pratique il serait difficile de créer ce nouvel État souverain quand une très forte minorité n’en veut pas. Il est faux de dire que l’État souverain est un concept dépassé : une trentaine de territoires ont accédé à l’indépendance depuis 1990, et aucun État souverain actuel ne souhaite renoncer totalement à sa souveraineté (un partage de celle-ci est cependant possible, comme dans le cas de l’Union européenne). Mais dans tous les pays qui ont accédé à l’indépendance depuis 25 ans à la suite d’un ou de référendums, la victoire des indépendantistes dépassait largement les 50% +1 (les OUI les plus faibles à l’indépendance ont été exprimées au Monténégro, 55,5%, et en Lettonie, 74,8%). Or, au Québec, la part d’indépendantistes dans la population stagne depuis des décennies à 40%, parfois un peu plus, parfois un peu moins, et la fièvre indépendantiste qu’a connu le Québec dans les années qui ont suivi le rejet de l’accord du Lac Meech constitue l’exception plutôt que la règle. Il n’y a pas, au Québec, de volonté majoritaire et stable dans le temps d’accéder à l’indépendance.
Un déclin bien amorcé
Tout cela m’amène à croire que le Parti Québécois cédera tôt ou tard la place à la CAQ (ou à un autre parti qui incarnera les mêmes valeurs et ralliera le même électorat) comme alternative au Parti libéral. Le PQ n’a plus obtenu de vote au-dessus des 40% depuis l’élection du 30 novembre 1998.
30 novembre 1998 : 43%
14 avril 2003 : 33%
26 mars 2007 : 28%
8 décembre 2008 : 35%
4 septembre 2012 : 32%
7 avril 2014 : 25%
Le PQ est devenu incapable de former un gouvernement majoritaire. Depuis 15 ans, il ne réussit plus à faire élire de députés dans les régions de Québec et de Chaudière-Appalaches (à l’exception des circonscriptions de Taschereau et de Charlevoix) et il a fait élire peu de députés en 2012 malgré sa victoire dans des régions comme Laval, la Mauricie, l’Estrie, le Centre-du-Québec. Il a gagné un seul des cinq derniers scrutins, celui de 2012, en majeure partie grâce à l’effondrement libéral, et depuis 2008, le pourcentage du vote au PQ ne cesse de diminuer. Il y a là une tendance lourde, et un soudain regain de vie au cours des prochaines années, à moins d’une improbable crise constitutionnelle, semble bien incertain.
Face à lui, le Parti libéral, parti de l’establishment, a une solide base d’une cinquantaine de sièges. L’appui indéfectible des non-francophones à ce parti le préserve d’une hécatombe même quand le vote francophone le délaisse : en 2007, les libéraux ont gagné l’élection et formé le gouvernement (minoritaire) même s’ils n’étaient que troisièmes chez les francophones. Depuis 1985, le PLQ n’a jamais remporté moins de 47 sièges à une élection. Même avec le pire résultat de son histoire en termes de votes (31% en 2012), le PLQ a gagné dans 50 circonscriptions, à 13 sièges seulement d’une majorité.
La victoire libérale du 7 avril n’est pas si écrasante qu’on le dit. Avec 41,5% du vote et 56% des sièges, on est loin des balayages de Robert Bourassa dans les années 80. Elle ressemble davantage à la courte majorité de Jean Charest en 2008 (42% du vote et 66 sièges). C’est la défaite du PQ qui est considérable, avec un pourcentage du vote comparable à la première élection à laquelle il a participé, en 1970. Certains pourraient arguer qu’avec 30 sièges, le PQ a déjà connu pire : 23 sièges seulement en 1985 et 29 en 1989. Mais même dans ces années sombres de son histoire, le PQ jouissait de l’appui de 38 à 40% des électeurs québécois. À 25%, le score du PQ s’apparente à celui du Bloc qui n’avait fait élire que quatre de ses députés en 2011. Le fait que les trois grands partis – PLQ, PQ, CAQ – aient été à égalité dans le vote francophone et qu’il n’y ait pas eu de forte vague en faveur de l’un d’eux comme la vague orange de 2011 a sauvé plusieurs sièges du PQ et lui a évité de subir le balayage dont le Bloc a été victime.
La souveraineté ne fait plus recette
Les Québécois ne veulent plus entendre parler de référendum ni de souveraineté. Amenés à se prononcer en 1980 et 1995, ils ont dit NON les deux fois. Le PQ traîne désormais sa raison d’être, la souveraineté, comme un boulet qui le tire vers le bas. Certes, on ne peut pas encore enterrer le PQ : des événements conjoncturels viennent parfois enrayer sinon retarder l’espace d’un moment le jeu des grandes causes structurelles à l’œuvre. S’il renonçait à la souveraineté et revenait à l’affirmationnisme, si l’équipe de la CAQ s’avère aussi faible que celle de l’ADQ entre 2007 et 2008, si le PQ était perçu comme le parti des classes moyennes, il pourrait peut-être regagner le terrain perdu à la CAQ. Mais ce serait au prix de renier les deux piliers de son idéologie, soit la souveraineté et la social-démocratie. Et il n’est pas dit que cette métamorphose opportuniste serait payante électoralement parlant. On l’a écrit plus haut, les électeurs préfèrent souvent voter pour l’original que pour la copie. Et le champ des partis fédéralistes de droite ou de centre-droit est déjà occupé.
Le PQ avait le mérite de réunir gens de gauche et de droite dans un même véhicule pour l’atteinte de l’objectif, la réalisation de la souveraineté. Comme cet objectif apparaît de plus en plus irréalisable, du moins à court et à moyen terme, plusieurs ne voient plus de raison de voter péquiste : les plus progressistes sont allés vers Québec solidaires et les plus à droite vers la CAQ. La perception que la souveraineté était proche permettait de garder ensemble tout ce beau monde. Avec un objectif qui apparaît maintenant plus lointain que jamais et ainsi l’axe gauche-droite qui devient plus important que l’axe fédéraliste-souverainiste perçu comme dépassé par beaucoup, il est difficile de voir comment le PQ pourrait demeurer encore longtemps l’un des deux grands partis sur la scène politique nationale. L’existence de trois partis (PQ, CAQ, QS) se disputant le vote non libéral, à cause de notre mode de scrutin qu’aucun des grands partis ne modifiera, entraîne une division du vote bien réelle qui ne fait que favoriser le maintien des libéraux au pouvoir ad vitam aeternam, élection après élection, tant qu’aucune alternative assez forte n’arrivera à émerger. Plus que jamais, le PLQ apparaît comme l’increvable parti naturel de gouvernement, comme l’a été le PLC au fédéral ou les conservateurs en Grande-Bretagne. Sans la reconstitution d’un nouveau bipartisme, habituons-nous à voir nos soirées électorales nous annoncer des gouvernements libéraux majoritaires.
Stéphane Gaudet est le rédacteur en chef d’Aujourd’hui Credo, revue francophone et œcuménique de l’Église Unie du Canada.